
Rodrigue a-t-il du cœur?
Possible mais il a surtout des boutons.
Tandis que Don Diègue se désespère à propos de sa vieillesse, voici ce que Rodrigue pourrait répliquer:
Mal d'ado
Ô rage! Ô désespoir! Ô jeunesse ennemie!
N’ai-je si peu vécu que pour cette infamie?
Et ne suis-je arrivé à l’âge des ados
Que pour voir des boutons envahir tout mon dos
Et couvrir mon menton de pustules féroces
Emplies d’un pus infect, repoussant et atroce.
Ma main, que tant de fois je passe sous la douche
Pour en chasser l’odeur si parfois je me touche,
Ma main, avec effroi, constate chaque jour
Les progrès de ce mal, ennemi de l’amour.
J’ai beau me prémunir avec un tas de crèmes,
Contre le chocolat toujours faire carême,
Hélas, le résultat ne me satisfait plus.
Je presse mes boutons, en extrais tout le jus
En tenant mon visage à l’abri des miroirs.
J’avale des cachets du matin jusqu’au soir
Qui ne font pas l’effet annoncé sur les boites:
Je sens bien sur mon front pousser des bubons moites...
Je suis en me couchant envahi par l’espoir.
Mais en me réveillant, je retombe sur terre.
J’aurais beaucoup mieux fait de dire un Notre Père.
Car je comprends enfin ce que je n’osais croire :
C’est clair, mon pharmacien me prend pour une poire!
Pour rappel: Corneille, Le Cid, I, 4, tirade de Don Diègue:
Ô rage ! ô désespoir ! ô viellesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu'avec respect tout l'Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Oeuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur !
Faut-il de votre éclat voir triompher Le Comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?
Comte, sois de mon prince à présent gouverneur ;
Ce haut rang n'admet point un homme sans honneur ;
Et ton jaloux orgueil par cet affront insigne
Malgré le choix du roi, m'en a su rendre indigne.
Et toi, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d'un corps tout de glace inutile ornement,
Fer, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense,
M'as servi de parade, et non pas de défense,
Va, quitte désormais le derniers des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleures mains.