Avant-propos: Toute langue véhicule des stéréotypes. Mais on peut aussi en jouer, ne serait-ce que pour les dénoncer. D'où le texte qui suit, où le genre grammatical illustre parfaitement (j'ose le croire) mon propos. Ne cherchez donc pas de masculin là où il n'y en a pas, ni de féminin, là où il n'y en a pas. A vous de jouer...
I Sans concession
Gertrude avait banni de sa vie toute présence masculine, y compris dans sa façon de s’exprimer. Toute forme, toute tournure masculine étaient exclues de sa grammaire et de sa langue.
Seulement voilà, Gertrude s’ennuyait et se mit à espérer une approche (la moins compromettante possible) de la gent masculine et elle s’était enfin résolue à éplucher les annonces de rencontre. L’une d’entre elles retint enfin son attention.
Elle l’avait d’abord lue avec toute la circonspection dont elle était capable mais elle fut séduite par sa formulation et sa tonalité. Alors, elle résolut d’y répondre non sans une certaine appréhension.
Certes, Gertrude ne correspondait en rien à l’image de la femme recherchée mais au moins, désormais, elle savait à quoi s’en tenir et, plutôt que de se dissimuler derrière une apparence trompeuse, elle décida d’assumer sa personnalité.
D’accord, elle n’était pas particulièrement jolie et son allure virile l’avait toujours desservie. Au lieu de la dissimuler, elle la mettrait en évidence. Une heure avant la rencontre, elle se maquilla à peine. Une touche de ces mixtures que les femmes se mettent sur la figure et sur le peau et elle se sentit tout autre.
Elle enfila une robe qu'elle s'était tricotée et jeta sur ses épaules une pelure d'une couleur incertaine.
En arrivant dans la salle de la brasserie où devait se tenir la rencontre, elle jeta une œillade complice à la tenancière de la gargote qui la reconnut et lui envoya une petite bise de la main. Mais elle eut beau regarder alentour, elle ne remarqua nulle personne qui correspondît à son attente. Elle s'inquiéta et s'assit sur une banquette recouverte d'une peausserie patinée. Enfin, elle entendit une voix qui lui disait : « Je suis là. »
Elle se retourna et repéra la bouche qui avait émis cette phrase.
Elle se leva et s'assit sur une chaise qui faisait face à cette personne à l'allure plutôt masculine.
Une discussion s'engagea. Gertrude apprit qu'elle avait affaire à une sage-femme (on ne pouvait dire autrement puisque la forme masculine de cette expression n'existe pas) qui venait de quitter l'armée où sa fonction de sentinelle avait fini par la lasser, voire l’exaspérer.
Finalement, Gertrude se prit de sympathie pour cette curieuse créature et elle accepta de la revoir la semaine suivante. Ainsi naquirent leurs amours inattendues.
Comme une telle aventure n’était pas banale, elle décida d’en faire une nouvelle qu’une éditrice féministe accepta aussitôt de publier sans une once d’hésitation à la condition expresse qu’elle obéirait à une seule règle édictée et revendiquée dès les premières lignes.
II Le contre-pied
Amédée était un idéaliste.
Le temps d’un été, il fila le parfait amour avec ce représentant du sexe féminin rencontré suite à son message dans son quotidien préféré. Il avait apprécié l’aspect naturel, voire un peu bourru de ce personnage original qui s’était présenté sans fard dans le café où ils s’étaient donné rendez-vous et il lui avait promis de devenir son fidèle sigisbée.
Il apprit que ce bourreau de travail (c’est le terme qui avait été employé) qu’il avait en face de lui dirigeait un lycée. Alors, à son tour, comme il était avare de mots, pour faire comprendre son métier, il lui mit sous son le nez un caducée.
Leur amour s’emballa.
Pour fêter leur hyménée, il lui offrit un superbe camée en forme de scarabée, puis ils allèrent visiter ce fameux mausolée empli de macchabées de pygmées dans un pays du golfe persique.
Mais quand Amédée apprit que ce chef d’établissement d’un nouveau genre (qu’il avait épousé !) obéissait à un mot d’ordre excluant tout ce qui relevait du masculin, il décida de retourner son veston.
Indigné par ce coup inattendu, il tendit son medium en direction de son périnée et rejoignit de ce pas un groupuscule d’hommes déterminés à prendre le contre-pied de ce mouvement qui avait programmé le décès du langage français. Ils n’eurent désormais qu’un seul but: éliminer tous les mots féminins, y compris pour parler du sexe opposé. Ils manifestèrent même un penchant prononcé et, bien entendu, sarcastique pour les mots masculins à l’aspect féminin et forcément, par là-même, trompeurs.
Avec Amédée pour coryphée, ils inventèrent des slogans qu’ils allèrent chanter jusque devant le Musée de l’Homme et envisagèrent de dresser un mausolée en l’honneur et en souvenir de leur engagement.
Enfin, avant de faire un X définitif sur son mariage, Amédée mit par écrit son étrange destin.
Mais, par un mauvais tour du sort, comme son avant-bras tremblait et que son cœur défaillait, il ne put aller au bout de son paraphe. Il signa :
Amédé