Non mais!... Pour qui se prend-il, celui-là?
Le loup et le fabuliste
Le loup, un jour, rencontra La Fontaine
Et, tel un fauve hors de sa cage,
Il laissa éclater sa rage :
« Pourquoi nourrissez-vous contre moi tant de haine ?
Je sais bien que de moi plusieurs fois vous médîtes !
Qu’y a-t-il donc en moi qui vous irrite ?
Oui, je le reconnais, j’ai mangé un agneau
Qui se désaltérait, paisible, au bord de l’eau.
Pensez-vous, par hasard, que je n’ai jamais faim ?
Et comment voulez-vous que j’arrive à mes fins ?
Pour un chasseur, souvent, la ruse est nécessaire
Et ce n’est pas à vous de me dire quoi faire !
Oui, il m’arrive de chasser
Non sans un peu de cruauté.
Croyez-vous néanmoins que ce soit sans péril ?
Je dois me défier des bergers et des chiens
Et veiller à me mettre à l’abri des fusils.
Comptez-vous ces dangers pour rien ?
Il arrive que je m’attable...
Le beau sujet pour une fable !...
Mais, entre nous, mon cher poète,
Vous prenez-vous pour un ascète ?
Qui vous rend si hardi de blâmer mon repas ?
S’il m’arrive parfois de manger de la viande,
Pourquoi en faire tout un plat ?
Franchement, je vous le demande !
Remballez donc votre morale
Et votre leçon à deux balles !
Vous qui vivez en salonnard,
Quittez ce masque goguenard.
Dites-moi, autant que je sache,
Puisque, avec moi, vous fûtes vache,
Vous n’êtes pas végétarien !
Et, d’ailleurs, vous le savez bien :
Quand il s’agit de votre bouche,
Vous n’êtes pas sainte-nitouche !
Que mettez-vous dans votre assiette ?
Pas seulement des omelettes !
Et veaux, vaches, cochons, poulets
De votre appétit font les frais !
D’ailleurs vous ne trompez personne
Sous vos allures polissonnes :
Les animaux sont les victimes
De vos discours et de vos rimes
Car vous ne concevez des fables
Que pour humilier mes semblables
Et servir votre vanité
De fabuliste carnassier ! »
Ayant été ainsi mouché
Et, se trouvant le bec cloué,
Notre poète, dépité
(Mais feignant d’être convaincu),
Jura qu’on ne l’y prendrait plus.
Il est vrai qu’au même moment,
En guise d’ultime argument,
Compère loup montrait ses dents.
Morale
Méfions-nous de La Fontaine,
On ne sait pas où il nous mène.
Et, si nous critiquons les loups,
Que ne diront-ils pas de nous ?