Voici donc le texte de ma nouvelle classée dans les 10 premières lors du concours lancé par la Biennale d'Art Contemporain de Lyon 2015. Le thème imposé était "la vie moderne". Le texte devait comporter exactement 2015 signes.
Vous la retrouverez bientôt sur le site de la Biennale. Elle sera également lue à la Sucrière par des comédiens du TNP le 11 décembre.
***************************************************************************************************************
Les gens couraient, abrités sous leur parapluie. Il pleuvrait toute la journée. La rue hurlait. Une ambulance est passée en trombe. Elle a éclaboussé des passants.
Je me suis mis à l’abri sous les arcades pour continuer mon chemin.
Un homme est arrivé, traînant les pieds. Il portait un béret informe. A mon niveau, il a tendu la main :
- Je peux avoir une cigarette ?
- Désolé, je ne fume pas.
Pourtant, je l’ai suivi. Il est allé plus loin, il a longé la cathédrale. Elle élève son corps massif au centre de la ville. Sur ses pierres grises, percées de vitraux colorés, passe l’ombre du temps. Des monstres de dentelle s’échappent des piliers et son portail est couvert de sculptures de saints. Leur visage et leurs mains s’animent sous la caresse du jour. Malgré la rumeur sourde venue des rues voisines, elle est entourée d’un rempart de silence. Mais l’homme ne s’est pas arrêté. Il est allé plus loin, bien à l’abri sous les arcades.
Tête basse, il a inspecté le trottoir au pied d’un mur, près d’un grand magasin. Il a aperçu un laveur de carreaux qui en nettoyait la vitrine. Il a fait quelques pas de plus. D’ un mouvement d’épaule, il s’est débarrassé de son fardeau. C’était un grand sac d’un vert pisseux qui a atterri sur les pavés avec un bruit sourd.
L’homme s’est penché pour l’ouvrir. Il en a sorti une toile grise qu’il a étendue sur le sol. Il s’est assis lourdement et a regardé du côté de la rue. Il continuait à pleuvoir, une lumière grisâtre salissait les façades. Des silhouettes frôlaient son corps, il a dû replier ses jambes, ses pieds gênaient le passage. Il a fermé les yeux quelques instants. Quand il les a rouverts, son regard était vide.
L’homme a saisi son sac, y a enfoncé ses mains. Son bras s’est immobilisé, puis il l’a retiré en tremblant. Il tenait dans sa main un livre. Une couverture informe et molle, écornée d’où s’échappaient quelques pages tachées de gras.
Il l’a ouvert, l’a placé sur ses genoux repliés. Il a posé ses yeux sur lui.
Lentement, il a commencé à s’effacer.